Pilotage, contrôle, confiance, indicateurs
Comment appréhender le management opérationnel ?
Problème de management
Le management des opérations est au croisement de la stratégie et du management organisationnel. Il contribue à la création de valeur (comme le montrait la chaîne de valeur). Le pilotage c'est l'ensemble des activités qui orientent, influencent, guident et contrôle le comportement des individus dans une organisation afin d'atteindre des objectifs. Cela pose donc le problème de sa mesure et de son utilisation en management.
Q: comment évaluer les performances opérationnelles d'une organisation ?
Indicateurs de pilotage
Il s'agit de déterminer les variables que l'organisation peut et doit piloter. Cette démarche est à relier à l'approche par les fonctions, processus et activités pour sélectionner des éléments d'observation qui pourront exprimer la performance et la création de valeur d'une organisation.
Les indicateurs collectent des informations qui permettent le pilotage opérationnel et qui doivent avoir plusieurs caractéristiques : simplicité (correspondre à un petit nombre d'objectifs) ; clarté (concrets et sans ambiguïté) ; sélectivité ; évolutivité (rester adaptés si la stratégie change).
Les indicateurs traduisent la stratégie de l'organisation et sont orientés vers l'action. Ce ne sont pas des indicateurs d'analyse qui servent, eux, à établir un diagnostic.
On peut opérer plusieurs distinctions : indicateurs de résultat (degré de réalisation d'un action, constat) ou indicateurs de suivi (mesure progression, évolution) ; indicateurs de reporting (information pour la hiérarchie) ou indicateurs de pilotage (pour guider une action en cours) ; indicateurs financiers (basés sur des données comptables) ou non financiers (basés sur d'autres systèmes de gestion) ; indicateurs synthétiques (combinent une multitude d'informations) ou indicateurs ciblés (focalisés).
Tableaux de bord
Ce sont des documents de synthèse qui regroupent des indicateurs suivis par une même équipe ou un même responsable. on parle de "système" pour insister sur leur cohérence et leur interdépendance. Le tableau de bord comporte des indicateurs dont on apprécie la cohérence hiérarchique (objectifs logiques pour chaque niveau) et/ou la cohérence transversale (reposant sur les processus).
Un tableau de bord suppose un nombre limité d'indicateurs (autour d'une dizaine), qu'ils ne soient pas contradictoires. Pour rappel, le tableau de bord comme ses indicateurs doivent être simples et clairs pour permettre d'établir des priorités. La cohérence se traduira par des plans d'action et des budgets.
D'un point de vue analytique la réflexion sur les tableaux de bord comme outils de pilotage s'est exprimée dans les travaux de Robert Kaplan & David Norton (1941-2023) avec la notion de tableau de bord "prospectif" ou "équilibré". Leur système repose sur une combinaison d'indicateurs financiers (de résultat, basés sur le passé de l'organisation) et opérationnels (de suivi, à visée prospective).
Le pilotage se fait selon quatre axes : financier / clients / processus internes / apprentissage organisationnel auxquels correspondent des questionnements. Comment nous perçoivent nos actionnaires ? Comment nous perçoivent nos clients ? Dans quels domaines devons-nous être leaders ? Pouvons-nous continuer à nous améliorer et à créer de la valeur ?

Cette démarche est progressivement venue constituer un outil d'élaboration de la stratégie en permettant un diagnostic et une orientation des actions à mener.
Pilotage, contrôle, confiance
De nombreux travaux théoriques et empiriques ont critiqué le pilotage par les indicateurs. Ainsi Maya Beauvallet montre les effets pervers des indicateurs : les acteurs ne cherchent qu'à satisfaire les critères de mesure et perdent le sens de leurs activités. Eve Chiapello & Patrick Gilbert considèrent que les techniques de gestion ne sont pas neutres : elles font l'objet d'une construction sociale. Certains acteurs cherchent à les imposer d'autres à y échapper. François Dupuy (1947-2024) indique que la multiplication des indicateurs de reporting donne paradoxalement du pouvoir à ceux qui les renseignent. Vincent De Gaulejac montre que la recherche de la performance peut mener à des situations de souffrance au travail et paradoxalement réduire la performance recherchée...
Mais il ne faut pas pour autant tomber dans le simplisme. Les indicateurs et les tableaux de bord expriment à la fois la structure et les processus d'animation d'une organisation. Les indicateurs constituent d'une part des outils de contrôle de gestion, ils permettent d'appliquer la stratégie et permettent ou favorisent le changement. Les indicateurs expriment d'autre part l'historique de l'organisation.
Conclusion
Le pilotage opérationnel mobilise des techniques et doit répondre à des attentes sociales et humaines. Les tableaux de bord gagnent en principe à être construits collectivement mais il est difficile de contenter les différents intérêts représentés dans les organisations. Brunsson insiste sur les non-dits qui en découlent ou sur l'hypocrisie qui peut être utilisée pour ne pas affronter directement les conflits liés à la mesure de la performance opérationnelle.
Repères bibliographiques
BRUNSSON, Nils : The Organization of Hypocrisy : Talk, Decisions and Actions in Organizations, Copenhagen Business School, 2003
KAPLAN, Robert & NORTON, David : « Le tableau de bord prospectif : un système de pilotage de la performance » (1992) in Les systèmes de mesure de la performance, Harvard Business Review - Editions d'Organisation, 1999
KAPLAN, Robert & NORTON, David : « Mettre en pratique le tableau de bord prospectif » (1993) in Les systèmes de mesure de la performance, Harvard Business Review, Editions d'Organisation, 1999
KAPLAN, Robert & NORTON, David : Le tableau de bord prospectif, Editions d'Organisation, 1996, traduit en 1998
MEYSSONNIER, François & RASOLOFO-DISTLER, Fana : « Balanced scorecard et pilotage de la responsabilité sociale de l'entreprise. Retour d'expérience », Revue française de gestion, 2011 https://shs.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2011-2-page-81?lang=fr
Pour aller plus loin
BEAUVALLET, Maya : Les stratégies absurdes Comment faire pire en croyant faire mieux, Seuil, 2009
CHIAPELLO, Ève & GILBERT, Patrick : Sociologie des outils de gestion Introduction à l'analyse sociale de l'instrumentation de gestion, La Découverte, 2013
DE GAULEJAC, Vincent : La société malade de la gestion, Seuil, 2005
DE GAULEJAC, Vincent & HANIQUE, Fabienne : Le capitalisme paradoxant, Seuil, 2015
DUPUY, François : Lost in management La vie quotidienne des entreprises au XXIe siècle, Seuil, 2011
DUPUY, François : La faillite de la pensée managériale Lost in management 2, Seuil, 2015
DUPUY, François : On ne change pas les entreprises par décret Lost in management 3, Seuil, 2020
GEOFFROY, François : « Quand l'hypocrisie managériale protège l'organisation Les apports de Nils Brunsson », Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 2012
KAPLAN, Robert & NORTON, David : « Le tableau de bord prospectif : outil de management stratégique » (1996) in Les systèmes de mesure de la performance, Harvard Business Review, Editions d'Organisation, 1999
KAPLAN, Robert & NORTON, David : Comment utiliser le tableau de bord prospectif Pour créer une organisation orientée stratégie, Editions d'Organisation, 2001