Rationalité
Quels processus décisionnels ?
Comment gérer les processus décisionnels ?
Problème de management
L'informatique décisionnelle a fourni des outils qui valorisent les connaissances. Elle permet aux décideurs d'anticiper (ex: le risque, les défauts de qualité), elle permet d'analyser (ex: la clientèle, les processus), elle permet d'adapter (ex: l'offre ou la demande). Cependant, elle repose sur une hypothèse forte de nature économique, la rationalité. On suppose ainsi que les individus maximisent leur objectif en minimisant les moyens pour l'atteindre. Ce processus d'optimisation nécessite l'existence d'une information parfaite et d'individus totalement autonomes.
Les travaux de sociologie des sciences de Franck Cochoy montrent comment peuvent se construire socialement des décisions (rôle du marketing, place des instruments commerciaux comme la caisse enregistreuse ou les chariots). Cette démarche repose sur l'idée que la science et les savoirs doivent faire la démonstration de leur validité pour convaincre les acteurs sociaux. Bruno Latour a ainsi décrit le travail minutieux de Pasteur pour faire valoir par des expériences l'existence des microbes.
Ainsi en économie on considère que le prix comporte toute l'information nécessaire pour prendre des décisions alors que la sociologie des sciences estime au contraire que la rationalité est discutable en prenant l'exemple de la coexistence de vendeurs à bas-coûts (low cost) et d'autres à prix élevés. La rationalité économique semble en effet opérer une simplification excessive qui ne correspond pas à la réalité du fonctionnement des organisations.
Q: comment les membres d'une organisation décident-ils concrètement ?
Rationalité limitée
Cette approche de la rationalité a été avancée par Herbert Simon (1916-2001) autour de l'idée que les décisions les plus importantes (comme les décisions stratégiques) sont non-programmables et non-structurées et qu'ainsi il n'est pas réaliste de supposer des individus maximisateurs.
La rationalité limitée s'oppose à l'optimisation car il est rare que les individus possèdent toute l'information (il y a par exemple un coût pour la collecter) ; l'information n'est pas toujours fiable (il y a beaucoup d'incertitude) ; les capacités de traitement de l'information sont limitées (la plupart des situations à analyser sont complexes). Pour Simon il faut tenir compte du contexte de la décision.
Herbert Simon est ainsi un des pionniers de l'analyse de l'informatique décisionnelle. Le développement de l'intelligence artificielle a en grande partie tenu compte de ses analyses pour apporter des outils d'aide à la décision qui tiennent compte des comportements réels des individus. On notera que les différentes rééditions de ses travaux tenaient compte régulièrement des progrès de l'automatisation et la numérisation des processus de décision.
Pour Simon, les agents se contentent d'une solution satisfaisante, acceptable. Si leur situation progresse, même à la marge, cela va leur convenir. C'est la rationalité procédurale. Elle fonde d'ailleurs son modèle de décision (étudié ensuite).
Rationalité parfaite
Quand on considère que les agents économiques doivent opter pour la solution optimale, on estime que leur rationalité est parfaite, substantive. Cette approche repose sur l'idée que les agents agissent en fonction de leur intérêt et qu'il est logique qu'ils cherchent à maximiser leur objectif en tenant compte des contraintes auxquelles il font face (coûts, budgets).
Toutefois la discussion porte sur la nature de l'information. La rationalité substantive est une hypothèse forte qu'on ne peut ignorer en termes de décision mais qui n'est pas réaliste car supposer que tout individu connaît tout ce qui est nécessaire pour décider (y compris l'ensemble des conséquences), a accès immédiatement, tout le temps et sans coût à l'information ne semble pas plausible. Ainsi, les individus peuvent essayer d'influencer l'information disponible (rappel : dans la théorie de l'agence par exemple).
La rationalité parfaite sert ainsi de référence, d'idéal mais est difficilement mobilisable en management des organisations. Ainsi les calculs financiers, le contrôle de gestion ou l'analyse financière sont fondés généralement sur la rationalité substantive et constituent des éléments qui favorisent la décision humaine sans la rendre automatique.
Conclusion
Tout un courant d'analyse économique a approfondi l'hypothèse de rationalité limitée en étudiant les comportements réels des agents. Richard Thaler a ainsi développé l'économie comportementale et fait apparaître des erreurs systématiques (biais cognitifs).
Repères bibliographiques
COCHOY, Franck ; PLESSZ, Marie ; RODET, Diane & SARFATI, François : « Controverse sur la consommation low cost », La Nouvelle Revue du travail, 2018 https://journals.openedition.org/nrt/3654
DENANT-BOEMONT, Laurent &
L'HARIDON, Olivier : « La rationalité à l'épreuve de l'économie
comportementale », Revue française d'économie, 2013
https://shs.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2013-2-page-35?lang=fr
SIMON, Herbert : Sciences des systèmes. Sciences de l'artificiel, Dunod, 1981, traduit en 1991
THALER, Richard : Misbehaving. Les découvertes de l'économie comportementale, Seuil, 2015, traduit en 2018
Pour aller plus loin
COCHOY, Franck : Une histoire du marketing. Discipliner l'économie de marché, La Découverte, 1999
COCHOY, Franck : De la curiosité L'art de la séduction marchande, Armand Colin, 2011
COCHOY, Franck : Aux origines du libre-service Progressive grocer (1922-1959), Le Bord de l'Eau, 2014
COCHOY, Franck : Si l'économie m'était contée Huit histoires de marchés, REF.2C, 2020
SIMON, Herbert : Les sciences de l'artificiel, Folio, 1996, traduit en 2004