Sources de pouvoir et zones d'incertitude

Comment s'exerce le pouvoir ?

Problème de management

Les théories classiques du pouvoir ont été approfondies par des études de cas en sociologie des organisations. Cette démarche prend appui sur les travaux du sociologue Michel Crozier (1922-2013) qui a étudié notamment des organisations bureaucratiques en France en empruntant aux réflexions de sociologie des organisations ou de management américaines. Ce courant basé sur des cas concrets se dénomme "l'analyse stratégique".

Q: quels sont les apports de l'analyse stratégique à la compréhension du pouvoir en management ?

Le phénomène bureaucratique

C'est le premier grand ouvrage de Crozier (1963) issu de sa thèse. La démarche repose sur deux études de cas : une agence comptable parisienne et un monopole industriel. Le phénomène bureaucratique place les relations de pouvoir au coeur de l'analyse.

C'est un dépassement des modèles analytiques et mécanistes : il n'y a pas de one best way, le pouvoir est "relationnel". L'incertitude joue un rôle fondamental : on ne peut tout prévoir ou tout maîtriser. On retrouve ainsi les modèles de décision défendus par James March ou Herbert Simon. Ex : le rôle des routines. Le pouvoir consiste à maîtriser l'incertitude.

La bureaucratie propose ainsi une solution aux questions de pouvoir. En principe une organisation basée sur des règles complétée par des routines réduit l'incertitude, mais elle se retrouve à l'origine d'un cercle vicieux : en raison de la peur du face à face qu'implique cette organisation, seules de nouvelles règles peuvent répondre à des difficultés.

L'acteur et le système

Après les travaux fondateurs, un véritable courant de recherche s'est structuré avec un laboratoire (le Centre de Sociologie des Organisations), une équipe et de nombreux travaux empiriques. Crozier & Friedberg (1977) proposent ainsi une analyse de synthèse de leur approche. Les organisations évoluent dans un "système d'action concret" : un ensemble de relations nouées par les acteurs. Il existe des "zones d'incertitude" : des compétences maîtrisées par des acteurs et qui sont indispensables au bon fonctionnement de l'organisation.

Les organisations sont des systèmes dans lesquels et sur lesquels les acteurs agissent pour satisfaire leurs objectifs personnels. Les stratégies des acteurs découlent de relations de pouvoir : le pouvoir appartient à celui ou celle qui contrôle une zone d'incertitude (c'est déconnecté des relations hiérarchiques). Chaque acteur dispose d'une marge de manœuvre quelle que soit la situation organisationnelle car il y aura toujours de l'incertitude.

Le système d'action concret vise ainsi à établir des règles qui organisent les relations entre acteurs. A défaut on constate des oppositions et l'utilisation des relations de pouvoir pour changer les règles à son avantage.

Le pouvoir et la règle

C'est la poursuite et l'approfondissement des recherches. Friedberg (1993) confronte l'analyse stratégique à plusieurs sources d'inspiration : les théories de la décision et en particulier la rationalité limitée, la théorie des jeux et les comportements stratégiques, les théories de la structure (qui étudient la bureaucratie, les règles, les systèmes, la contingence...).

On parle de "système" pour évoquer des inter-relations. Les objectifs des acteurs ne sont pas toujours explicites et sont souvent multiples. Il faut toujours tenir compte de la situation organisationnelle. Certains comportements sont mieux adaptés à certaines situations, et ils se contentent de solutions satisfaisantes. Organiser c'est combiner le pouvoir et la règle : tenir compte des contraintes et mobiliser des ressources.

Conclusion

On retrouve par exemple dans les travaux du sociologue Jean-Daniel Reynaud (1926-2019) sur les négociations avec les syndicats des applications très concrètes pour comprendre ces phénomènes en termes d'analyse stratégique et de régulation.

Repères bibliographiques

CROZIER, Michel : Le phénomène bureaucratique, Seuil, 1963

CROZIER, Michel & FRIEDBERG, Erhard : L'acteur et le système, Seuil, 1977

FRIEDBERG, Erhard : Le pouvoir et la règle, Seuil, 1993

FRIEDBERG, Erhard : « La dynamique de l'action organisée », in Les Organisations État des savoirs, Jean-Michel SAUSSOIS (dir.), Éditions Sciences Humaines, 2016

JARDIN, Evelyne : « L'acteur et le système », in La sociologie, Éditions Sciences Humaines, Xavier MOLÉNAT (dir.), 2009

Pour aller plus loin

BRECHET, Jean-Pierre : « Le regard de la théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud », Revue française de gestion, 2008 https://shs.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2008-4-page-13?lang=fr

PAVÉ, Francis (dir.) : L'analyse stratégique Sa genèse ses applications et ses problèmes actuels : autour de Michel Crozier, Seuil, 1994

REYNAUD, Jean-Daniel : « Ce que produit une négociation collective, ce sont des règles », Négociations, 2005 https://shs.cairn.info/revue-negociations-2005-2-page-139?lang=fr

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